L’histoire de Darian Henderson-Bellman

Notre éditorial : Alors que la crise du COVID-19 va refluer, la menace de violence sexiste persistera ; que révéleront les chiffres de 2021 lorsqu’ils seront calculés ?

Historiquement, le Canada a été et demeure l’un des meilleurs pays au monde pour une femme. Selon le Global Gender Gap Report 2018 du Forum économique mondial, le Canada se classe au 16e rang sur 149 pays en termes de droits de la personne, d’égalité des sexes, d’égalité des revenus et de sécurité. Et pourtant, le Canada a aussi un problème de fémicide, à la fois historique et endémique. Comment les deux choses peuvent-elles être vraies ? Comme la question de la violence sexiste elle-même, c’est compliqué.

Au cours du dernier demi-siècle, certains des crimes de violence sexiste les plus épouvantables et les plus médiatisés à l’échelle internationale se sont produits sur notre sol : du massacre de Montréal au viol et aux tueries de Paul Bernardo et Robert Pickton, en passant par le plus récent massacre de fourgons. Les femmes autochtones sont des victimes disproportionnées et, malgré des décennies de tollé de la part des groupes de défense des droits des victimes, les taux de condamnation lamentables pour les cas d’agression sexuelle et de violence sexiste témoignent du fait que notre système de justice échoue régulièrement plus de femmes victimes qu’il n’en sert.

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Les taux de féminicides ont augmenté pendant la pandémie. Selon un récent rapport de l’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilité (CFOJA), 160 femmes ont été violemment assassinées au Canada en 2020; dans 90 % des cas où un tueur était accusé, l’auteur présumé était un homme. Ce nombre, selon le rapport, est en hausse par rapport aux 146 meurtres de l’année précédente. En plus de l’augmentation du nombre de morts, les refuges pour femmes et les lignes d’assistance pour partenaires intimes à travers le pays ont signalé de manière anecdotique une forte augmentation de la demande de services pendant la pandémie.

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Mais le rapport en manquait un ; le nombre était en fait de 147.

Le mois dernier, il est apparu que Zohra Derouiche, 75 ans, de Scarborough, en Ontario, avait été mortellement poignardée à son domicile le 10 décembre 2019. Son mari a ensuite été accusé de meurtre au deuxième degré. La police de Toronto, pour des raisons qu’elle refuse de divulguer, a gardé sa mort secrète pour le public. La vérité n’est apparue que lorsque son mari est décédé après avoir contracté COVID-19 en prison.

Le fait que la mort de Derouiche ait été, pendant un certain temps, effectivement effacée du dossier public devrait être choquant pour tous les Canadiens, non seulement parce qu’elle a rendu une victime de meurtre sans voix ni visage, mais parce qu’elle ne pouvait pas être comptabilisée par les groupes de défense qui traquent et analysent de tels tendances : travaux menés dans l’espoir de prévenir de futurs décès similaires. Le manque de transparence policière dans cette affaire est alarmant pour des groupes comme le CFOJA, et illustre le gouffre qui existe lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention des médias sur la question du fémicide.

Comme Myrna Dawson, professeure à l’Université de Guelph et directrice du CFOJA, l’a fait remarquer récemment : « La vie de toutes les victimes compte, tout comme leur mort. Mais nous voyons souvent comment les décès de personnes aisées, par exemple, semblent ne jamais cesser d’être couverts, alors que certains décès ne bénéficient jamais du même respect. [and] ne sont jamais couverts du tout.

La mort non dénombrée de Derouiche peut sembler liée de manière tangentielle à la pandémie mais, compte tenu du calendrier, elle en est également indissociable. En ce sens, cela ressemble au meurtre tragique de Darian Henderson-Bellman l’été dernier.

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Henderson-Bellman était une jeune femme issue d’une famille aimante de Georgetown, en Ontario; son assassin présumé a été libéré sous caution pendant la pandémie, malgré une accusation d’armes et des antécédents de non-respect des ordonnances de non-contact.

L’affaire a contribué à inspirer une nouvelle réflexion, notamment une unité locale de lutte contre la violence entre partenaires intimes, dotée d’une équipe de 48 enquêteurs spécialement formés dont le mandat comprend la lutte contre la récidive en surveillant les délinquants à haut risque et en s’intégrant à un panier d’autres soutiens, y compris le logement et l’aide juridique. .

Alors que la crise du COVID-19 va refluer, la menace de violence sexiste persistera ; que révéleront les chiffres de 2021 lorsqu’ils seront calculés ? Le moins que nous puissions faire est de nous souvenir des morts en racontant leurs histoires : honnêtement, en détail et avec cœur.

Dans ce numéro, nous vous proposons l’histoire d’une parmi tant d’autres. L’histoire de Darian.


Cet éditorial paraît sous forme imprimée dans le numéro de juin 2021 de Maclean’s magazine avec le titre “L’histoire de Darian”. Abonnez-vous au magazine imprimé mensuel ici.

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