Une attaque sournoise contre les droits linguistiques

Tom Mulcair a été le chef du Nouveau Parti démocratique du Canada entre 2012 et 2017.

Le Québec et la Constitution sont de retour dans les manchettes et quiconque se souvient de Meech et de Charlottetown voudra naturellement se cacher et se couvrir. Cette fois-ci, cependant, personne ne demande le consentement des autres provinces ou des Canadiens par référendum.

Le Québec a inclus ce qu’il prétend être des amendements unilatéraux à la Loi constitutionnelle de 1867 (l’AANB) dans une vaste proposition (le projet de loi 96) qui vise à renforcer le statut du français là-bas. Bon nombre de ces changements sont en effet de nature provinciale et portent sur des choses comme les droits des travailleurs et des consommateurs. La portée et l’effet de ces types de changements feront l’objet d’un bon débat à l’Assemblée législative du Québec, à l’Assemblée nationale, et étant donné la majorité de Legault, la plupart passeront en loi.

Puisqu’il touche également les droits concernant le langage de la législation et des tribunaux, le projet de loi 96 mérite un examen beaucoup plus approfondi que l’approbation hochée des chefs de parti à Ottawa n’a rapidement donné à cette partie de celui-ci qui vise à modifier la constitution unilatéralement.

C’est un sujet sur lequel j’ai passé une grande partie de ma carrière à travailler. Mon premier emploi au sein de la branche législative du ministère de la Justice du Québec comprenait une élan folle mémorable alors que tout le monde se démenait, en décembre 1979, pour réagir à une décision de la Cour suprême qui venait d’être rendue dans l’affaire Blaikie. Il a fallu préparer rapidement, en vue d’une reconstitution, toutes les lois québécoises adoptées depuis l’entrée en vigueur de la Charte de la langue française (projet de loi 101) en août 1977. La loi 101 a supprimé l’obligation qui existait depuis 1867, en ce sens même loi ANB, pour promulguer simultanément toutes les lois en anglais et en français.

L’affaire Blaikie, comme on l’appelle, était importante pour plusieurs raisons. Premièrement, les juges ont statué à l’unanimité que l’article 133 de la BNA. La loi, qui exige l’anglais et le français dans les lois et devant les tribunaux, ne faisait pas partie de la constitution du Québec et ne pouvait donc pas être modifiée unilatéralement par la province. Deuxièmement, la Cour suprême a corrigé simultanément une loi illégale beaucoup plus ancienne, la Loi sur la langue officielle du Manitoba de 1890, qui supprimait les droits en français qui avaient été promis dans la Loi sur le Manitoba de 1870.

Les droits linguistiques sont au cœur de notre nation parce qu’ils tiennent compte des promesses que nous avons faites lors de la réunion de notre grand pays. La route a parfois été difficile, mais la Loi sur les langues officielles a donné, il y a plus de 50 ans, un nouvel élan à ces promesses. Pierre Trudeau a même perdu l’un de ses éminents ministres occidentaux à cause de cette question. Ce ministre, James Richardson, appartenait à l’une des plus importantes familles de Winnipeg et il s’est fermement opposé au bilinguisme officiel.

J’ai fini par travailler au Manitoba après que la Cour suprême a décidé, une deuxième fois, que toutes les lois devaient être traduites et que le français et l’anglais avaient un statut égal devant les tribunaux. Cette deuxième décision, en 1985, était devenue nécessaire parce que le gouvernement manitobain avait ignoré la première, arguant (sans beaucoup de franchise) que la décision antérieure était directive et non obligatoire. Les observateurs avertis remarqueront qu’il a fallu plus de 95 ans aux francophones du Manitoba pour que leurs droits soient rétablis et à peine deux ans aux anglophones du Québec pour obtenir les leurs.

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C’était bien sûr obligatoire et juste après cette deuxième décision de la Cour suprême, j’avais été embauché pour aider à superviser et réviser la traduction de quelque 10 000 pages de lois et de règlements. C’était une tâche herculéenne et la Cour suprême était là pour surveiller et assurer le respect de sa décision définitive.

C’est cette histoire qui rend l’acquiescement de Justin Trudeau si surprenant. Il semble sincèrement croire que l’article 45 de la Constitution de 1982 s’applique aux modifications unilatérales du Québec à l’AANB et que la proposition est légitime parce qu’elle ne touche que la propre constitution de la province.

Mais il y a un autre article 43, qui dit que si les changements affectent le droit d’utiliser l’anglais ou le français, il faut alors un débat et une motion de la Chambre des communes et du Sénat avant que le changement puisse avoir lieu.

L’article 43 a été habilement utilisé par l’ancien premier ministre Lucien Bouchard pour transformer les commissions scolaires catholiques et protestantes du Québec garanties par la Constitution en un système français et anglais. La Chambre des communes et le Sénat ont dû discuter et voter et la communauté anglophone du Québec a été consultée et largement acceptée. C’est comme ça qu’on change une constitution: on discute, on débat et on vote.

Les modifications proposées par Legault à l’AANB ont effectivement une incidence sur les droits linguistiques. Trudeau, Erin O’Toole et Jagmeet Singh, avec leur attitude «avancer, rien à voir ici», tentent de se convaincre et nous convaincre qu’il ne s’agit que du Québec qui modifie sa propre constitution. C’est l’argument que le Québec avait soutenu en vain devant la Cour suprême dans l’affaire Blaikie dans les années 1970. Avec ces changements, il pourrait gagner cette affaire aujourd’hui.

Qu’est-ce qui fait et qu’est-ce qui ne fait pas partie de la constitution de la province? Pour commencer, quelques paragraphes ci-dessus, j’ai commis l’impardonnable en désignant la législature québécoise comme… une législature! L’Assemblée nationale du Québec s’appelle ainsi parce que le Québec a décidé qu’il préférait la terminologie de la France et qu’il a changé unilatéralement le nom de sa législature en Assemblée nationale. Pas de problème.

Il en a été de même lorsque le Québec a décidé (comme toutes les autres provinces qui en avaient une) de six fois son «Conseil législatif» il y a des décennies. Il avait parfaitement le droit de supprimer son sénat provincial. C’était l’appel du Québec car c’était, en effet, purement de la compétence de la province. Ce n’est pas le cas avec les changements proposés maintenant par le Québec.

Les voici en détail: «Les Québécois forment une nation» et «le français sera la seule langue officielle du Québec. C’est aussi la langue commune de la nation québécoise ».

Lorsque vous examinez le projet de loi 96, vous voyez des propositions pour modifier une série de lois, dont le Code civil et le Code de procédure civile, pour supprimer le droit de produire certains documents officiels s’ils sont rédigés en anglais. Un certificat de naissance en anglais de la Colombie-Britannique devra désormais être traduit officiellement comme s’il provenait d’un coin obscur du monde avec une langue peu connue. Ce n’est pas seulement la constitution québécoise. C’est le droit d’utiliser l’anglais et le français tel que prévu à l’article 43. Il est impossible que les avocats du ministère de la Justice à Ottawa n’aient pas vu cela.

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Le projet de loi 96 doit être lu dans son ensemble. Les sections doivent être interprétées dans leur contexte, l’une par rapport à l’autre, afin de comprendre l’effet global. Le contexte inclut les modifications des droits linguistiques existants. Le législateur n’est jamais censé parler sans raison des changements unilatéraux du BNÀ. Act sont destinés à produire et à protéger le résultat global souhaité: moins d’anglais dans la justice, la législation et les tribunaux.

Le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, s’est récemment livré à une bagarre de force avec la juge en chef de la Cour du Québec, Mme la juge Lucie Rondeau. Jolin-Barrette n’aimait pas le fait que les affichages pour les nouvelles nominations judiciaires exigeaient une connaissance de l’anglais. Elle a patiemment souligné qu’il existe un droit constitutionnel à un procès en anglais et qu’il appartient aux tribunaux de veiller au respect de cette obligation. Jolin-Barrette n’était pas d’accord et il utilise le projet de loi 96 pour éliminer le bilinguisme comme exigence systématique pour les nominations judiciaires futures, même dans les régions à forte population anglophone. Le droit à un procès en anglais deviendra rapidement théorique.

Des années avant le projet de loi 101, le projet de loi 22 de Robert Bourassa avait déjà proclamé le français comme langue officielle du Québec. Stephen Harper avait défendu une motion à la Chambre des communes proclamant que les Québécois sont une nation. Alors, quel est le problème?

Le gros problème est que le projet de loi 96 supprime effectivement les droits existants. Les professionnels, y compris les avocats, perdront leur droit de pratiquer le droit s’ils ne parviennent pas à maintenir ce qui deviendra une nouvelle exigence permanente pour une connaissance obligatoire du français. Les tests ou autres qualifications au début de leur carrière (je devais en passer un pour entrer au Barreau) restaient valables tout au long de leur carrière. Ils seraient désormais réputés susceptibles de révision et de révocation du permis d’exercice en cas de connaissance insuffisante du français.

Le gros problème est qu’une fois ces modifications constitutionnelles unilatérales en place, le procureur général du Québec pourrait réussir là où ses prédécesseurs avaient échoué en 1979. Ils pourraient citer les nouveaux articles comme preuve que le Québec peut effectivement adopter sa législation en français seulement et fournir une Traduction en anglais plus tard. Cela pourrait avoir un effet négatif sur les droits linguistiques de tous au Canada, car d’autres provinces comme le Manitoba et le Nouveau-Brunswick pourraient en prendre note et emboîter le pas.

En 2019, les Barreaux du Québec et de Montréal ont réglé des poursuites visant à faire en sorte que le Québec respecte son obligation constitutionnelle de produire une version anglaise des lois sur un pied d’égalité avec les Français, notamment en matière de préparation des amendements. Le «précédent Mulcair» dont il est question dans ces procédures était le mien. Ayant travaillé au Manitoba et participé aux débats là-bas, je savais ce que la Cour suprême exigeait et je l’ai soulevé à maintes reprises lorsque j’étais membre de l’Assemblée nationale. Cet équivalent garanti par la Constitution des versions anglaise et française est en péril, ces changements étant approuvés par Trudeau et son pliant ministre de la Justice David Lametti.

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Il y a une diminution constante du statut du français et des institutions de langue française partout au Canada et tous les Canadiens devraient en être conscients et exiger que leurs gouvernements aident à corriger ce problème. L’exemple le plus déchirant le plus récent est la saturation des principaux programmes de langue française à l’Université Laurentienne à Sudbury, laissant de nombreux étudiants francophones à la maîtrise et au doctorat sur le vif. Il y a de l’argent dans le dernier budget fédéral pour venir en aide à l’éducation francophone minoritaire dans un tel cas, mais jusqu’à présent, la ministre des Langues, Melanie Joly, n’a rien fait.

Ce type de tragédie continue pour la minorité française au Canada est à juste titre deux poids deux mesures en comparant les institutions de l’anglais au Québec et du français à l’extérieur du Québec.

La question essentielle pour l’avenir de notre pays est la suivante: voulons-nous aspirer à plus de droits pour tous les Canadiens ou allons-nous simplement niveler les choses vers le bas, au plus petit dénominateur commun?

Trudeau semble s’être éloigné de sa vision souvent soutenue d’un Canada multiculturel bilingue vers un Canada où les minorités linguistiques et religieuses sont seules. Quand lui et Lametti ont refusé de lever leurs petits doigts pour aider les minorités religieuses aux prises avec des difficultés de lutte contre le projet de loi discriminatoire 21 du Québec, l’écriture était sur le mur.

Les droits sont essentiels. Le fait de ne pas défendre ces droits a un coût pour notre force, notre unité et notre bien-être en tant que pays, à long terme. Les priorités électorales à court terme ne peuvent remplacer une défense réfléchie des valeurs et droits fondamentaux.

Il est clair que ni Trudeau ni O’Toole ni Singh n’ont beaucoup réfléchi aux articles de fond du projet de loi 96. La grande ironie est que même s’ils ont suivi la voie de l’article 43 plus exigeant, il ne fait aucun doute que la Chambre adopterait une motion l’approuvant. Trudeau a prétendu avoir un avis juridique selon lequel le Québec peut effectivement procéder seul pour modifier la Constitution canadienne sans même porter la question devant le Parlement. Lorsqu’on a demandé à Lametti sur une station de radio anglaise de Montréal s’il était prêt à partager cet avis juridique avec les Canadiens, il a patiné.

Legault a un plan clair pour éloigner le Québec du Canada, sinon en sortir. Ce plan, comme l’a révélé Legault lui-même, comporte trois volets: la langue, l’immigration et la culture. Il fait des cercles autour de notre groupe actuel de leaders à Ottawa.

Malgré les longues probabilités historiques, si cela est bien fait, il y a vraiment des raisons d’espérer que cela pourrait être transformé en une opportunité rare pour une compréhension plus profonde des véritables différences qui existent entre les deux solitudes. Mais cela ne peut pas être fait de manière sournoise et détournée, sans un débat approprié comme l’exige la Constitution.

Trudeau a tort de dire que la constitution du Canada peut être modifiée unilatéralement par le Québec. Il n’est pas faux de suivre la Constitution pour apporter des changements qui peuvent clôturer un chapitre difficile de notre histoire. Après tout, la Constitution de 1982 tant décriée, que le Québec n’a jamais signée, pourrait finir par être utilisée par le Québec pour tenter d’améliorer les choses pour l’avenir, pourvu que les droits soient garantis et respectés d’un océan à l’autre.

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