Comment faire face à la triple épidémie hivernale ?

Comment faire face à la triple épidémie hivernale ?

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Selon Benjamin Davido, MD, doctorant (infectiologue, Hôpital Raymond-Poincaré, Garches, France), l’hôpital se retrouve à nouveau dans une situation inédite et inquiétante : une triple épidémie. Elle connaît une saison grippale particulièrement précoce, une explosion des cas de virus respiratoire syncytial (VRS) et une résurgence du SRAS-CoV-2. Comment expliquer cette situation épidémique et quelles solutions (telles que le masquage, la distanciation sociale et de nouvelles campagnes de vaccination et de prévention) doivent être envisagées ? Actualités médicales Medscape soulevé ces questions avec Davido.

Medscape : Il existe actuellement une situation épidémique préoccupante dans plusieurs pays. Était-ce prévisible, selon vous ?

David : Dans les faits, il y a bien une triple épidémie de grippe, d’infections à VRS et de COVID-19. Certains chiffres font froid dans le dos, et il semble qu’aucun pays ne puisse y échapper : plus de 20 % des cas de grippe positifs sont signalés aux États-Unis, avec une couverture vaccinale antigrippale largement insuffisante dans le monde, et notamment en Europe. Ce scénario avait été prédit, car il y a eu une très grosse vague de grippe en Australie cet été. A cela s’ajoute l’alerte du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies sur la bronchiolite et la reprise de la circulation du SARS-CoV-2, avec une augmentation conséquente des hospitalisations (+18% dans les services de réanimation en France actuellement). Et c’est sans compter ce qui se passe en Chine. Nous avons enduré la variante BQ1.1 dans le monde entier, alors que la population n’est plus guère immunisée puisque peu de personnes ont reçu le rappel bivalent ciblé Omicron (environ 10% en France).

Cette situation est donc particulièrement préoccupante. Nous assistons à une saison avec un nombre important d’infections respiratoires de toutes sortes, ce qui est sans précédent dans l’ère post-COVID. Chaque jour, je suis appelé pour des hospitalisations pour des infections pulmonaires, notamment bactériennes. Au cours des 3 derniers mois, nous avons vu quelques patients âgés entrer dans le service. Aujourd’hui, la moyenne d’âge de mes patients se situe entre 50 et 60 ans, et certains ont parfois la trentaine, comme un patient qui, sans comorbidités, est arrivé la semaine dernière pour une pneumonie (grippe sévère) et a dû passer par le service de réanimation . Je vois à nouveau des admissions aux soins intensifs, dont une femme de 60 ans qui n’avait jamais été vaccinée contre le COVID. La réanimation cherche logiquement des lits en aval… Rappelons encore une fois qu’avec Omicron, le risque de décès des patients hospitalisés est de 7%, contre 12% lors de la vague Delta.

Medscape : Pourquoi la rapidité de cette épidémie est-elle si exceptionnelle ?

David : Avant la pandémie de COVID-19, les hospitalisations pour grippe commençaient entre fin décembre et début janvier, avec un pic fin janvier. Aujourd’hui, 1 patient sur 2 que je suis appelé a la grippe. Je suis étonné de la rapidité avec laquelle il évolue. Nous étions dans une zone grise pendant un certain temps, car nous ne faisions pas de tests de dépistage de la grippe dans les établissements de soins de santé primaires, il était donc difficile d’évaluer l’arrivée de cette vague de grippe hospitalière sans précédent à l’ère du COVID. Mais nous sommes désormais en situation de gestion de crise épidémique — nous nous réunissons cette semaine pour recenser les lits disponibles en gériatrie, en anticipation.

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Quant au COVID, avec la variante actuelle (BQ1.1), encore plus contagieuse que la précédente (BA.5), la vague frappe très vite (+37% de cas en 1 semaine). C’est peut-être la seule bonne nouvelle. Cela devrait passer rapidement, mais le corollaire, bien sûr, sera la surcharge hospitalière inhérente aux formes sévères. Et encore une fois, si seulement 10% à 20% de la population cible est protégée contre le BA.5, on va se retrouver dans une situation franchement très embarrassante, vu l’absence totale de mesures de protection, comme le masquage et la distanciation sociale, dans la vie de tous les jours.

Concernant RSV, je pense que nous avons sous-estimé la situation. Nous avons mobilisé du personnel médical et paramédical sur la bronchiolite à l’hôpital pour contrer une épidémie pédiatrique, alors qu’une double épidémie venait de s’ajouter chez l’adulte. L’une de nos erreurs a été que ces 2 dernières années, nous nous sommes concentrés de si près sur le COVID que nous ne pouvions pas imaginer le débordement venant d’ailleurs.

Medscape : Quelles solutions peut-on actuellement envisager pour limiter la pénibilité hospitalière dans ces conditions hivernales inédites ?

David : Plus vite les vagues s’écrasent, plus vite elles inonderont l’hôpital, c’est certain. Mais ce qui est presque étonnant, c’est que, alors que des traitements (comme le nirmatrelvir et le ritonavir) et des vaccins sont désormais disponibles, rien n’a été mis en place. On est passé d’un extrême à l’autre, à savoir d’une société quasi hygiéniste – à tort ou à raison – avec des restrictions allant jusqu’au port du masque en extérieur sans fondement scientifique, à une exaspération générale où l’on ne veut plus entendre parler de COVID ou de masques. En levant toutes ces mesures d’atténuation, nous avons attisé le feu pour ces virus d’antan (c’est-à-dire la grippe et le VRS). Nous sommes dans un endroit complètement différent de celui où nous étions l’année dernière, et je ne parle même pas de 2020, où il n’y avait qu’une trentaine de cas graves de grippe identifiés… Aujourd’hui, que ce soit le vaccin ou les mesures d’atténuation ou les deux , il n’y a plus de règles, plus de boussole ! Cependant, je pense que dès l’arrivée de l’hiver météorologique, c’est-à-dire le 1er décembre, il faut commencer à remettre les masques dans les lieux surpeuplés et anticiper la vaccination des personnes à risque.

Il semble complètement fou d’arriver à cette période hivernale sans calibrer nos outils de surveillance épidémique, que ce soit les tests de dépistage, les campagnes de rappel vaccinal, l’utilisation de mesures de protection, comme le masquage et la distanciation sociale, etc. Si on continue comme ça, la prochaine les vagues vont vraiment enterrer l’hôpital.

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Medscape : Pensez-vous que les gens sont suffisamment informés sur la vaccination ou les mesures d’atténuation ?

David : Je pense que ce n’est pas bien expliqué. Concernant la vaccination, il faut arrêter de penser en nombre de doses et plutôt penser en termes de vaccins de nouvelle génération. J’ai entendu de nombreux récits de personnes qui ne savent pas que les personnes de moins de 60 ans peuvent être vaccinées. Certains voudraient obtenir les boosters mais pensent qu’ils n’y sont pas autorisés ! Nous nous sommes accrochés à l’idée d’une vaccination ciblant les personnes âgées ; c’est un très mauvais message, car on peut avoir 50 ans et avoir eu un infarctus du myocarde et donc être à risque. De plus, l’année dernière, les campagnes de vaccination contre la grippe et contre le COVID sont sorties en même temps, alors qu’aujourd’hui, tout le monde “s’arrange” comme il peut pour se faire vacciner. S’il n’y a pas de lignes directrices, pas de chemin accéléré et tracé, les gens sont perdus. Un message comme “La vaccination avec le nouveau vaccin Omicron est ouvert à tous” aurait plus de poids que de parler d’une quatrième dose de vaccin.

Dans le monde d’avant, nous ne gérions qu’une seule maladie ― c’était la grippe ― et il n’y avait aucune mesure d’atténuation. Tout s’est bien passé. Aujourd’hui, nous devrions probablement faire plus d’efforts. Lorsque l’épidémie de bronchiolite s’est produite, il aurait fallu dire très clairement de remettre en place les mesures d’atténuation. Cependant, le ministère de la Santé est resté totalement muet à ce sujet. Nous étions en quelque sorte engloutis par l’énergie et les nouvelles politiques. Nous ne sommes plus “en guerre” contre ces virus (tout comme nous devrions l’être contre les bactéries, puisque, depuis peu Lancette nous le rappelle, les infections bactériennes restent la deuxième cause de décès dans le monde).

La morale est que nous ne pouvons pas, du jour au lendemain, abandonner les campagnes de lutte et de prévention des maladies infectieuses ; ce n’est pas rationnel. Nous devons nous rappeler et expliquer l’hygiène de base. Par exemple, la « sobriété énergétique » tant plébiscitée aujourd’hui incite à fermer toutes les fenêtres pour économiser sur le chauffage… Or, s’il n’y a plus de ventilation des espaces, on ne peut qu’augmenter le risque de contamination. Et comment cela se passe-t-il actuellement dans les cabinets médicaux, où l’on voit de plus en plus de patients ne portant pas de masque ?

Medscape : Comment envisageons-nous l’avenir de la lutte contre ces épidémies ?

David : Il faut relancer chaque année des campagnes fortes pour lutter contre les maladies infectieuses, comme on le fait par exemple avec le cancer du sein ou du côlon. Et, comme en oncologie, il faut continuer à améliorer et simplifier les outils de diagnostic et optimiser les traitements. L’année prochaine, on s’attend à voir un nouvel arsenal dans la lutte contre la bronchiolite, grâce aux vaccins contre le VRS. Un exemple est qu’il existe des outils pour dépister la grippe, le COVID et le VRS en même temps. Il va falloir l’expliquer et le mettre en place et mettre à disposition tous ces nouveaux outils, y compris au médecin généraliste.

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Il y a aussi un vrai travail à faire sur la collaboration entre les soins primaires et les maladies infectieuses hospitalières. Il faudra optimiser les canaux, par exemple solliciter et élargir le champ de compétence des pharmaciens et des professionnels au contact des patients. Et plus généralement, il faut organiser les soins de manière plus large et imaginer par exemple un « chef d’orchestre européen » pour la santé européenne.

Medscape : Réintégrer les soignants non vaccinés pour renflouer les services hospitaliers, comme on l’a fait en Italie ?

David : Je pense que c’est un faux débat, parce que la vraie question sous-jacente qui n’est pas posée est, cela résoudra-t-il le problème de l’hôpital? La réponse est non. On parle d’environ 4000 personnes, et parmi elles, il y a beaucoup de personnel administratif, paramédical, etc. Il n’y a pratiquement pas de médecins. Donc, il faut être très prudent quand on parle de ces « aidants ».

Néanmoins, je comprends la subtilité de dire que la vaccination n’empêche pas la contamination et que tout le monde porte un masque à l’hôpital, donc du coup, le vaccin devient facultatif car il n’a aucun effet protecteur sur les patients. Au-delà de ce raccourci, si nous réintégrons ces personnes, je pense qu’un accord tacite devrait être mis en place avec elles : en cas de vague d’une ampleur sans précédent et compte tenu de la disponibilité de nouveaux vaccins à ARNm qui réduisent significativement la probabilité d’être infecté, y compris avec de nouvelles variantes, ces personnes devront se soumettre à la science et à la vaccination.

On ne le dit pas assez, mais cette vaccination des soignants a largement permis, lors des vagues, d’une part d’éviter l’absentéisme, mais aussi de “démasquer” ceux qui se disent soignants mais ne s’appuient pas sur des données scientifiques Les données. Parce que je ne pense pas qu’on puisse être au chevet d’un patient qui souffre du COVID ou de la grippe et lui dire : “Tu as eu raison de ne pas te faire vacciner et de finir en réanimation”. Il y a une éthique dans les soins médicaux qui est essentielle.

Mais il faut être extrêmement clair : dire que l’hôpital s’effondre parce qu’on a évincé du personnel qui n’a pas respecté la vaccination est complètement faux. Leur réintégration est certes possible, mais elle ne résoudra le problème ni à court ni à long terme.

Cet article a été traduit de l’édition française de Medscape.

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