Alt-Tour de Lachlan Morton: une course de 3 400 milles avec 1 concurrent

L’aspect commercial de la course de Morton faisait en fait écho au Tour original tout autant que son retour à l’époque des courses en solo. En 1903, face à la baisse du lectorat et à une forte concurrence, le journal français L’Auto crée le Tour – un spectacle prolongé aux dimensions grotesques – afin d’augmenter sa diffusion. La brutalité de la course s’est avérée irrésistible pour les spectateurs. C’était la première course par étapes du cyclisme sur route, avec des tronçons de plus de 400 kilomètres de long, et elle a été disputée non seulement par des cyclistes professionnels mais aussi par des charpentiers, des forgerons, des enseignants. (Cette année, l’étape la plus longue fait un peu moins de 250 kilomètres.) Dans les pages de L’Auto – dont le tirage a plus que doublé lors de cette première course – le drame a été capturé en photos de prétendants comme Léon Georget, qui s’est tellement épuisé qu’il s’est évanoui au bord d’une route après s’être arrêté pour réparer son vélo.

Le même genre de lutte était évident pour ceux qui suivaient les déboires de Morton via le fil Instagram de Rapha. Une semaine après le début de la tournée alternative, il était passé de l’allaitement aux ampoules à la défense du pied des tranchées. Ses performances dans les Alpes ont été entravées par le poids de son équipement de camping et ses pneus étaient tellement crevés qu’il a finalement dû faire un nœud dans une chambre à air pour continuer.

Sur fond de carte de France, le cavalier apparaissait sous la forme d’un point rose, se déplaçant lentement à travers le paysage.

C’est, bien sûr, plus que la promesse de douleur et de gloire qui rend le Tour de France, et la version alternative de Morton, si convaincant. De nombreuses courses de vélo sont suffisamment difficiles pour pousser les coureurs dans un état de misère zombie, mais aucune, à part le Tour, n’a transcendé le sport lui-même à travers 108 éditions. L’une des raisons, selon le théoricien de la littérature française Roland Barthes, tient au rôle du Tour dans la reconstitution chaque été de « l’unité matérielle » de son pays. La course se déroule dans le monde, pas dans un stade, et ses concurrents deviennent, même brièvement, une partie de chaque communauté qu’ils traversent, liant lentement la terre ensemble en un tout national. « On a dit que le Français n’était pas très géographe, écrivait Barthes en 1960. Sa géographie n’est pas celle des livres, c’est celle du Tour ; chaque année, grâce au Tour, il connaît la longueur de ses côtes et la hauteur de ses montagnes.

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Grâce à Morton, j’ai redécouvert la longueur de ces côtes et la hauteur de ces montagnes, des années après que des scandales de dopage m’ont éloigné du cyclisme. Sur le site alt-tour, sa progression géographique pouvait être suivie en temps réel. L’expérience était incroyablement fascinante : sur fond de carte de France, le cavalier apparaissait sous la forme d’un point rose, se déplaçant lentement à travers le paysage. Quelques chemins derrière lui se trouvait un point noir représentant le peloton du Tour de France en progression, que Morton a réussi à distancer – une expérience inédite pour le coureur compagnon. (Normalement, il serait au service d’un chef d’équipe considéré comme un prétendant à la victoire du Tour, chargé de le mettre à l’abri du vent ou de lui apporter des bouteilles d’eau.) Il a atteint la mi-parcours de son tour avec une avance d’environ 850 kilomètres sur son poursuivants – un tampon nécessaire dans la seconde moitié de son trajet, au milieu des montagnes escarpées et de la perte de 800 kilomètres en transferts. Et au final, il a bel et bien atteint Paris, quelques jours avant le peloton.

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