Un homme – pour les besoins de cet exercice, appelons-le « Paul » – a une crise cardiaque et son cerveau manque d’oxygène. Après plusieurs réanimations et une semaine dans le coma, il ouvre enfin les yeux.
Cependant, il ne semble pas toujours être présent. Les médecins disent qu’il est toujours inconscient, dans un “état d’insensibilité” – les yeux du patient sont ouverts, mais il ne bouge pas la main lorsqu’on le lui demande. Pour les familles dans de telles situations, la question est toujours la même : leur proche va-t-il reprendre conscience ? Les progrès récents de la médecine de soins intensifs ont permis à de nombreuses personnes atteintes de lésions cérébrales graves de « revenir à la vie ».
Cependant, d’un état apparemment inerte à l’éveil complet, il existe un large éventail d’états de conscience différents que les neuroscientifiques s’efforcent de mieux définir.
Après un épisode de coma (où les yeux restent fermés) d’une durée comprise entre une heure et quatre semaines, il existe normalement plusieurs états de récupération jusqu’à « l’émergence », mais certains états de conscience intermédiaires peuvent persister et même devenir chroniques :
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Syndrome d’éveil sans réaction : les patients ouvrent les yeux mais ne montrent aucun signe de conscience. (Ceci était auparavant appelé « état végétatif », mais a été renommé en 2010 pour mieux décrire les symptômes.)
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État de conscience minimale « moins » : récupération de certains signes de conscience tels que la poursuite/fixation visuelle ou la localisation d’une stimulation douloureuse.
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État de conscience minimale « plus » : réapparition de signes de prise de conscience du langage – réponse aux commandes verbales, production de mots, tentatives de communication.
Sortie de l’état de conscience minimale : dès que le patient est capable de communiquer à l’aide d’un code oui/non ou d’utiliser des objets du quotidien.
Il est crucial de pouvoir distinguer ces troubles de la conscience d’un syndrome d’enfermement, résultant également d’une lésion cérébrale grave, mais localisé dans le tronc cérébral.
Le résultat est une paralysie du corps, de la tête et du visage, bien que la conscience et la cognition puissent être préservées. La communication se fait le plus souvent par des mouvements oculaires.
Le difficile diagnostic des troubles de la conscience
De tels états de conscience altérés sont difficiles à diagnostiquer car l’imagerie cérébrale ne permet pas encore un diagnostic optimal d’état de veille insensible ou de conscience minimale.
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La méthode la plus largement acceptée à l’heure actuelle est une évaluation au chevet du patient à l’aide d’échelles normalisées et validées. L’échelle de coma de Glasgow est la plus connue et la plus étudiée.
Cependant, il n’évalue pas les signes les plus fréquents de conscience minimale (notamment la fixation/poursuite visuelle).
Cela contraste avec la Coma Recovery Scale-Revised ou l’évaluation simplifiée des troubles de la conscience, qui identifient les signes auditifs, visuels, moteurs et linguistiques de la conscience.
Sans de telles évaluations, un diagnostic basé sur une simple observation clinique aurait une erreur d’environ 40 %. Ces évaluations doivent être répétées environ cinq fois dans un court laps de temps (par exemple, deux semaines), ce qui réduit le risque d’erreurs de diagnostic de 36 % après une évaluation à 5 % après la cinquième.
Le défi de poser un diagnostic correct sur la base d’évaluations comportementales est en partie lié au niveau d’éveil fluctuant des patients, ainsi qu’à des lésions telles que la ptose palpébrale – incapacité à ouvrir les yeux – qui peuvent entraver l’évaluation des fixations/poursuites visuelles.
Une nouvelle approche par le langage
L’une des questions les plus fréquentes auxquelles les professionnels de la santé sont confrontés lorsqu’ils prennent soin de ces patients est : « Est-ce qu’ils peuvent nous comprendre ? » L’évaluation des compétences langagières est également une étape clé dans l’établissement de la communication avec le patient.
Cependant, si les régions du langage du cerveau du patient ont été trop endommagées, son état de conscience pourrait être sous-estimé – il ou elle peut ne pas répondre aux commandes simplement parce qu’elles ne sont pas comprises.
En effet, une étude de 2015 sur des patients victimes d’AVC atteints d’aphasie – trouble du langage suite à une lésion cérébrale – a montré qu’environ 25 % de ceux qui étaient pleinement conscients pouvaient être diagnostiqués à tort comme peu conscients.
Ces données soulignent l’importance d’améliorer l’évaluation du langage chez les patients se réveillant du coma. Les recherches actuelles tentent de mieux comprendre comment évaluer les capacités langagières de ces patients, malgré leurs dysfonctionnements visuels, auditifs et moteurs.
Une aide pour limiter les erreurs de diagnostic
Notre récente revue systématique de la littérature rapporte l’utilisation de méthodes d’électroencéphalographie (EEG) ou d’imagerie par résonance magnétique (IRM), qui permettent de mesurer l’activité de régions cérébrales généralement liées au langage.
Deux types de tâches peuvent être effectuées avec l’une ou l’autre technique : Les tâches d’écoute passive consistent à faire écouter aux patients des mots ou des phrases. Par exemple, on regarde la différence d’activité cérébrale selon que le patient entend du bruit ou du langage.
Selon les études examinées, environ 33 % des patients considérés comme ayant un syndrome d’éveil insensible présentent des signes de compréhension du langage.
Tâches d’écoute active, dans lesquelles le patient est invité à réfléchir à une activité physique – par exemple, “Imaginez jouer au tennis”.
Si le patient présente des signes d’activation de l’imagerie motrice à l’EEG ou à l’IRM, on peut en déduire qu’il a répondu à la commande.
Environ 20 % des patients considérés comme ayant un syndrome d’éveil insensible sont capables d’effectuer ces tâches.
Le niveau de conscience de ces patients pourrait donc être mal diagnostiqué. Puisqu’ils répondent aux commandes, ils sont en fait dans un état de conscience minimale.
Les conséquences d’un diagnostic erroné De telles erreurs de diagnostic peuvent avoir un impact significatif sur le pronostic et la prise en charge du patient.
En effet, le personnel de santé a tendance à être plus attentif à la gestion de la douleur d’un patient peu conscient qu’un patient qui ne répond pas et dont la perception de la douleur est altérée.
Plus important encore, les décisions de fin de vie seront discutées plus souvent dans le cas d’un patient qui ne répond pas.
Il semble donc crucial d’améliorer l’évaluation du langage pour mieux saisir l’état de conscience réel des patients dans le coma.
De tels efforts ne sont précipités que par le fait que les professionnels de la santé n’ont pas toujours accès aux techniques d’EEG et d’IRM.
A l’Université de Liège, notre équipe a développé un outil d’« évaluation brève de l’aphasie réceptive » (BERA) qui présente des paires d’images au patient, l’incitant à fixer son regard sur celle qui correspond au mot ou à la phrase qu’il entend.
Avec ce test, nous espérons fournir un nouvel outil facilement accessible et peu coûteux à tous les cliniciens en rétablissement dans le coma.
De nombreuses avancées restent à faire dans ce domaine de la recherche clinique. Les méthodes d’évaluation (mais aussi de rééducation) vont devoir évoluer en parallèle avec celles de la médecine de réanimation, afin d’aider des patients comme “Paul” à pouvoir à nouveau communiquer.
By Charlène Aubinet and Olivia Gosseries, Université de Liège (The Conversation)